Schneider Electric, champion du développement durable ou complice de violation des droits humain, d’écocide et des criminels climatiques?

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Schneider Electric, champion du développement durable ou complice de violation des droits humain, d’écocide et des criminels climatiques?

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Schneider Electric, c’est une entreprise multinationale française, inclue au CAC40, spécialisée dans la fourniture de systèmes électriques et automatiques. Depuis des années, Schneider affiche des positions volontaristes sur les questions de transition énergétique, de développements durables et de responsabilité sociale et environnementale. Les dirigeants de Schneider se rendent régulièrement aux COP, l’entreprise était affichée comme partenaire de « Grenoble Capitale verte Européenne 2022 » et elle pousse régulièrement ses employés à se former sur les questions de développement durable. On peut d’ailleurs lire sur son site « Le développement durable est au cœur de nos objectifs, de notre culture et de nos activités car nous accélérons notre contribution vers un monde durable et inclusif ». Voilà de quoi se réjouir quand on se préoccupe de notre avenir et de la situation environnementale. Sauf qu’il y a un « Mais ».

Schneider Electric est aussi très impliquée dans l’industrie pétrolière et gazière. Et c’est Schneider Electric qui conçoit et fabrique, notamment dans le bassin grenoblois, l’infrastructure électrique du pipeline EACOP de TotalEnergies. Plus précisément, Schneider fournit « des équipements pour la supervision et la sécurité de l’installation, ainsi que son infrastructure électrique»[1]. Or, EACOP est un projet dénoncé par des ONG du monde entier pour les violations massives des droits humains qu’il engendre, son risque environnemental très élevé et les émissions de CO2 qu’il engendrera.

Pour se justifier de participer à EACOP, Schneider Electric nie les violences générées par EACOP et prétend que sa participation au projet permet d’en améliorer significativement l’empreinte carbone. Nous commençons par expliquer ci-dessous en quoi EACOP est un projet à la fois néocolonial, écocide et climaticide. Puis nous répondons aux arguments de Schneider pour expliquer pourquoi ils sont immoraux et infondés.

EACOP, un projet néocolonial, écocide et climaticide

EACOP (East African Crude Oil Pipeline), c’est un projet de pipeline porté par l’entreprise française TotalEnergies. Long de 1440 km, il traverserait l’Ouganda et la Tanzanie, ce qui en ferait l’oléoduc chauffé le plus long au monde. Il est couplé à deux projets de champs d’exploitation pétrolière, Tilenga (exploité par TotalEnergies) et Kingfisher (exploité par CNOOC, China National Offshore Oil Corporation). Le pipeline permettrait d’acheminer le pétrole produit jusqu’à l’océan Indien pour l’exporter sur d’autres continents.

Tracé du pipeline EACOP [2]

Ce projet est extrêmement décrié par les défenseurs des droits humains et de l’environnement. Une coalition d’ONG internationales et ougandaises, nommée STOP EACOP[3] s’est formée pour mettre fin au projet et dédommager les populations des préjudices subis. Grâce à la campagne Stop EACOP, 25 banques et 23 assureurs internationaux se sont déjà engagés à ne pas financer ou assurer le projet EACOP. Nous détaillons ci-dessous les raisons de l’opposition au projet.

Violations des droits humains, violences systémiques pour l’accaparement des terres

D’une part, avant même le début de sa construction, EACOP donne lieu à des violations massives et systémiques des droits humains en Ouganda et Tanzanie. Les personnes impactées par le projet, c’est-à-dire les familles possédant des terres ou des habitations sur le trajet du pipeline et les champs de pétrole, essentiellement des paysans, ont été privées de pouvoir exploiter leurs terres ou d’entretenir leurs maison depuis plusieurs années en prévision du chantier. Cela les plonge dans une situation financière très difficile, amenant à des restrictions alimentaires, une incapacité à payer des soins médicaux et la déscolarisation des enfants. Sous la pression internationale, les dédommagements promis pour les expropriations ont commencés à être versés, mais ils sont très insuffisants et ne permettent pas aux personnes impactées de racheter des terres équivalentes. Le nombre de personnes impactées atteint le chiffre faramineux de 118 000 personnes. [2][4] [5]

Paysan ougandais affecté par le projet avec ses enfants[2]

Les signatures des formulaires d’acquisition des terres ont été obtenues par la menace ou sur la base de promesses fallacieuses. Les personnes qui refusent de signer ces documents subissent du harcèlement, des emprisonnements et des menaces pouvant aller jusqu’à des menaces de mort pour elles et pour leur famille. Plus de 50 associations Ougandaises qui se mobilisaient contre EACOP et pour les droits des personnes impactées ont été fermées.


Arrestation de manifestants contre le projet EACOP en Ouganda[6]

Risques sur l’environnement[2]

Le projet Tilenga à lui seul compte 400 puits de pétrole, dont 150 dans la réserve naturelle iconique Murchison falls. En plus de Tilenga et Kingfisher, de nombreuses zones du bassin du lac Albert sont en cours de prospection pour ouvrir d’autres champs d’extraction.

Zones de forage (en rouge) et zones de prospection (en jaune) autour du lac Albert[2]
Girafes dans le parc Murchison Falls

Le pipeline traverse plusieurs zones protégées et de nombreux cours d’eaux alimentant le lac Victoria, dont dépendent 40 millions de personnes pour vivre. Tous les pipelines connaissent régulièrement des fuites qu’il faut surveiller. Le fait que le bassin du Lac Victoria ait une forte activité sismique aggrave fortement ce risque.

Enfin, la zone où se situe le terminal d’exportation sur la côte de l’océan Indien est, elle aussi, écologiquement sensible (mangroves) et soumise à des risques de typhons et de tsunamis.

Les mesures de sécurité du projet sont insuffisantes au vue des risques sur ces zones (absence de plan de gestion en cas d’accident, nombre de vannes de coupures du pipeline insuffisantes…). La probabilité d’un désastre environnemental à venir est donc élevée.

Par ailleurs, les travaux et l’exploitation d’EACOP et des champs de forage associés consommera des quantités importantes d’eau, alors que la région souffre déjà de périodes de sécheresse, accentuées par le changement climatique.

Emissions de CO2

EACOP ouvrira un nouveau bassin d’exploitation pétrolière. Le potentiel d’émissions des champs Tilenga et Kingfisher est estimée à 380 millions de tonnes de CO2. Mais de nombreuses autres zones sont ouvertes à la prospection dans le bassin du lac Albert. Les émissions sur la durée de vie seront donc vraisemblablement encore plus importantes quand de nouveaux champs d’exploitation seront ouverts.

Le développement de nouvelles infrastructures pétrolières est en contradiction totale avec les recommandations du GIEC et de l’AIE (Agence Internationale de l’Energie). En effet, la combustion des énergies fossiles exploitables grâce aux infrastructures déjà existantes suffirait à nous faire dépasser les 1,5 °C de réchauffement climatique [7]. Les projets non encore construits mais déjà validés en 2021 nous emmèneraient vers un réchauffement de 2 °C et au-delà, ce qui nous amènerait à franchir plusieurs points de bascule climatiques [8] et aggraverait la dynamique d’effondrement biologique dans laquelle nous sommes déjà rentrés [9] [10].

Potentiels d’émission de CO2 des mines de charbon et forages de pétrole et gaz déjà existants ou programmés en 2021 (à gauche) et budget carbone restant pour ne pas dépasser 1,5°C (en gris) et 2°C (en rouge) de réchauffement global par rapport à l’ère pré-industrielle (à droite). [7]

Toute nouvelle exploitation pétrolière ou gazière est donc vouée à devenir un actif échoué si nous respectons les accords de Paris. L’investissement dans ces infrastructures repose donc sur le pari que nous ne respecterons pas ces engagements et que nous laisserons le dérèglement climatique dériver vers une situation catastrophique.

Les arguments de Schneider Electric pour se dédouaner sont absurdes et indignes

Pour se justifier de participer au projet EACOP, la direction de Schneider Electric utilise différents arguments qu’il est important de comprendre pour en saisir l’absurdité et l’indignité morale. Ces arguments ont notamment été exprimés par Jean-Pascal Tricoire, PDG du groupe jusqu’à l’Assemblée Générale Schneider Electric de mai 2023[11], où il a été interpellé sur EACOP.

Négation des violations de droits humains

De très nombreux rapports d’ONG [2] [4] [5] et documentaires ou articles de presse font état des violences et menaces qui visent l’accaparement des terres tout au long du tracé du pipeline. Les enquêtes sur place sont difficiles et risquées puisque l’Ouganda et la Tanzanie sont des régimes autoritaires. Un groupe de parlementaires européens a également été missionné pour enquêter sur place. Leurs conclusions ont été similaires, ce qui a entraîné le vote au parlement européen d’une résolution condamnant le projet EACOP[12]. Pourtant face à cette accumulation de preuves, la stratégie de Schneider Electric est … le déni.

Lors de l’Assemblée Générale, J.P. Tricoire déclare « Par une partie extérieure, on a eu confirmation que les éléments que vous venez de mentionner [Les violations des droits humains, N.D.L.R.] ne correspondent pas à ceux que nous vérifions sur le terrain ». Il fait ici référence au fait que Schneider a missionné Accuracy, un cabinet de conseil financier, pour, selon eux, vérifier de façon indépendante la situation sur place. Vraisemblablement, le fait que Accuracy n’ait pas observé d’exactions semble une excuse suffisante aux dirigeants de Schneider Electric pour nier le travail des ONG, des journalistes et du parlement européen et ainsi se laver les mains de toute responsabilité. On notera que le rapport d’Accuracy n’est pas public.

Nous trouvons cette attitude des dirigeants de Schneider Electric particulièrement choquante dans la mesure où elle nie les risques auxquelles s’exposent, parfois au péril de leur vie, les personnes qui tentent en Ouganda et en Tanzanie, de faire respecter leurs droits, ceux de leurs familles et de leurs communautés.

L’implication de Schneider Electric permettrait de réduire l’empreinte carbone du projet ?

Le grand argument de Schneider Electric pour justifier leur participation au projet c’est que, toujours selon J.P. Tricoire « Sur le projet EACOP, les solutions de Schneider Electric permettent d’économiser 30 % de carbone ». Mais attention, ces 30% de réduction ne portent que sur l’infrastructure du pipeline et son usage. Ils ne prennent pas en compte les émissions de raffinage du pétrole, de son exportation et bien sûr du pétrole lui-même quand il sera brûlé comme carburant. Au final, ces 30% de réduction ne portent que sur 2% des émissions totales du projet sur sa durée de vie. En pratique, « grâce » à Schneider, l’énergie nécessaire au pompage et au chauffage du pipeline sera fournie par des panneaux solaires. Mais Schneider refuse de reconnaître le problème fondamental que constitue l’ouverture de nouveaux bassins d’exploitation, alors que l’Agence Internationale de l’Energie a déclaré en 2021 que « Aucun champ gazier et pétrolier nouveau n’est nécessaire au-delà de ceux déjà approuvés. » [13]

Futures émissions du projet EACOP, associé aux champs Tilenga et Kingfisher. La réduction de 30% des émissions, revendiquée par Schneider pour justifier son implication, ne s’applique qu’à celles induites par la construction et l’utilisation du pipeline (part orange) [2].

De manière générale, la communication de Schneider est parfaitement en phase avec la rhétorique toxique que développe Total pour justifier de continuer à investir toujours plus dans les énergies fossiles. Parler de « décarboner les énergies fossiles » [14], associer des énergies renouvelables à la production massive d’hydrocarbure[15] ou renvoyer toute la responsabilité du problème à « la demande », c’est à dire aux consommateurs, permettent de déresponsabiliser les grandes firmes dans leurs choix d’investissements irresponsables. Cela permet d’esquiver la question de la réduction contrôlée et volontaire des volumes d’hydrocarbures produits et consommés.

TotalEnergies, une entreprise vertueuse ?

Jean-Pascal Tricoire déclare que TotalEnergies est une entreprise qui a « une réputation, une éthique et qui est contrôlée » semblant sous-entendre que cette entreprise est digne de confiance. Rappelons donc quelques faits :

Françafrique[16]

TotalEnergies et les entreprises qui l’ont constituée (Elf Aquitaine et la Compagnie Française des Pétroles) sont intrinsèquement liées au néocolonialisme français, ce qu’on appelle la Françafrique. L’histoire de ces entreprises est une longue succession de crimes : soutien et financement de régimes autoritaires, corruption, déstabilisation économique et politique allant jusqu’à des coups d’Etat et des guerres civiles, pollutions massives… La puissance actuelle de TotalEnergies s’est souvent construite dans des bains de sang. Les violences systémiques observées aujourd’hui pour le projet EACOP ne sont donc pas un incident de parcours mais s’inscrivent parfaitement dans la logique de l’entreprise, qui vise à s’accaparer des richesses pétrolières au moindre coût.

Réchauffement climatique

Les dirigeants de TotalEnergies étaient au courant des conséquences climatiques des énergies fossiles depuis 1971. Non seulement ils n’ont pas communiqué publiquement ces informations mais ils ont participé depuis les années 90 à instiller le doute sur les constats scientifiques dressés par le GIEC et se sont opposés aux législations qui visaient à limiter l’usage des énergies fossiles. TotalEnergies a donc participé à nous faire perdre 50 ans dans la lutte contre le réchauffement climatique[17].

Le climato-scepticisme basique devenant de plus en plus difficile à assumer, TotalEnergies se présente désormais comme un champion des énergies renouvelables et promet qu’il aligne son projet avec l’accord de Paris. Rien n’est pourtant plus faux. Bien que Total investisse effectivement dans les renouvelables, elle continue d’investir bien plus massivement dans les énergies fossiles[14] [15].

Depuis la déclaration de l’agence Internationale de l’énergie en 2021 selon laquelle aucun champ gazier et pétrolier nouveau n’est nécessaire, Total s’est engagée dans pas moins de 30 nouveaux projets pétro-gaziers [15].

Revendications

Nous demandons à l’entreprise Schneider Electric

  • De reconnaitre les violations des droits humains liées au projet EACOP
  • De reconnaître l’impact environnemental et climatique du projet EACOP.
  • De se retirer du projet EACOP
  • De ne plus coopérer à de nouvelles infrastructures pétrolières et gazières, seule position compatible avec les objectifs de l’accord de Paris.

Pour aller plus loin :

Rapport des amis de la Terre et de Survie, « EACOP, la voix du désastre » https://www.amisdelaterre.org/eacop-voie-desastre-enquete-inedite-projet-total-tanzanie/

Reportage Cash Investigation « Superprofits : les multinationales s’habillent en vert » https://www.france.tv/france-2/cash-investigation/4498144-superprofits-les-multinationales-s-habillent-en-vert.html

Site de la campagne internationale #STOPEACOP https://www.stopeacop.net/

Site de la campagne nationale #STOPTOTAL https://stoptotal.fr/

Sources

[1] https://www.se.com/ww/fr/assets/342/document/411149/plan-de-vigilance-2022-schneider-electric.pdf

[2] https://www.amisdelaterre.org/eacop-voie-desastre-enquete-inedite-projet-total-tanzanie/

[3] https://www.stopeacop.net/

[4] https://policy-practice.oxfam.org/resources/empty-promises-down-the-line-a-human-rights-impact-assessment-of-the-east-afric-621045/

[5] https://www.hrw.org/report/2023/07/10/our-trust-broken/loss-land-and-livelihoods-oil-development-uganda

[6] https://twitter.com/bobbarigye1/status/1679136723471572998

[7] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0301421522001756

[8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Points_de_basculement_dans_le_syst%C3%A8me_climatique

[9] https://www.linfodurable.fr/environnement/rechauffement-2-degres-quelles-consequences-28900

[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Extinction_de_l%27Holoc%C3%A8ne

[11] Assemblée Générale 2023 de Schneider Electric. Interpellation de J.P. Tricoire sur EACOP à 2h19 https://www.se.com/ww/fr/about-us/investor-relations/individual-shareholders/annual-general-meeting.jsp

[12] https://www.amisdelaterre.org/communique-presse/european-parliament-adopts-a-resolution-condemning-totals-eacop-project/

[13] https://www.agenceecofin.com/hydrocarbures/1805-88326-l-aie-preconise-l-arret-immediat-de-toute-activite-d-exploitation-d-energies-fossiles-pour-preserver-le-climat

[14] https://www.amisdelaterre.org/communique-presse/total-la-strategie-du-chaos-climatique/

[15] https://bloomassociation.org/wp-content/uploads/2023/05/le-joker-enr.pdf

[16] DENEAULT, Alain. De quoi Total est-elle la somme. Paris/Montréal: Rue de l’Echiquier/Lux Ecosociété, 2017.

[17] https://www.mediapart.fr/journal/international/201021/dereglement-climatique-total-savait-des-1971


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